Un exemple d’hexagramme
Extrait de Yi Jing, Le Classique des Mutations (Les Belles Lettres, 2021)
HEXAGRAMME 52
LA STABILISATION
GEN 艮
GÉNÉRALITÉS
Savoir s’arrêter. Lorsqu’il est décontenancé par l’extérieur ou commence à s’éparpiller à tout va, l’être humain doit suspendre son volontarisme habituel et s’immobiliser, afin de laisser peu à peu se réorganiser en lui les forces qui l’animent. Il suffit qu’il s’apaise un instant pour que se réinstalle une posture intérieure, que se redessinent les contours d’un sentiment d’unité. Cette posture, c’est la montagne qui en est le symbole.
La montagne est corps et le corps montagne. Fermeté, isolement, silence, telle est la voie pour rétablir la tenue intérieure. « Au cœur de chaque personne se trouve un élément de non-communication qui est sacré et dont la sauvegarde est très précieuse » écrivait Winnicott*. Le temps se ralentit, l’esprit se pose, le présent s’installe, le corps d’énergie prend consistance. Se départir de l’agitation permet de trouver un juste équilibre entre tension et abandon, de sentir un souffle neuf infuser l’ensemble de la personne – on le voit monter de la base au sommet du corps tout au long des six traits de l’hexagramme. Alors ce n’est plus le dehors qui commande, et une action sereine devient possible.
JUGEMENT
STABILISER le dos sans mainmise sur le corps.
Avancer à la Cour sans regard sur personne.
Pas de faute.
Pour rétablir le calme, il faut commencer par se couper du monde extérieur et revenir à soi. Faire confiance au corps : se poser, se tenir droit, placer le dos – ce pilier central par où s’établit la circulation énergétique entre haut et bas, dedans et dehors, ciel et terre. Droiture, mais sans raideur, sans crispation, sans esprit de domination surtout. Cesser de se croire le maitre de la chose intérieure, accepter au contraire que quelque chose échappe à notre contrôle et vienne de soi-même.
Que la pensée volontariste cesse d’intervenir à tout propos, que le calme se diffuse dans l’ensemble du corps, que l’espace intérieur soit stabilisé et l’on peut à nouveau se tourner vers le dehors. Mais on va, là encore, éviter toute mainmise : pas de distraction, pas de captation par un élément extérieur, rien pour nous détourner de notre chemin. Non seulement on garde le calme que l’on a installé à l’intérieur mais on en imprègne l’environnement : on peut intervenir dans le monde sans se laisser troubler, le geste sûr et la parole cohérente.
GRANDE IMAGE
Les ermites vont dans la montagne pour s’isoler et méditer car ils voient en elle une force silencieuse qui soutient, rassemble et concentre les forces. La montagne symbolise la fermeté qui empêche, arrête et met à l’écart ce qui divise, la rigueur qui tient les perturbations en respect. Un modèle pour l’homme quand son activité mentale se singularise, s’échappe, l’éloigne du souffle qui le porte pour le rabattre « dans le registre de l’humain, celui de la conscience intentionnelle, de l’objectivation, des distinctions et du raisonnement » (J.F.Billeter*). Il lui faut alors, intentionnellement, mettre le holà à cette pensée qui le morcelle et l’entraîne hors de l’instant présent, revenir aux ressources du corps et le suivre dans son processus de réunification.
LE TEXTE DES SIX TRAITS DE L’HEXAGRAMME
Texte : Pierre Faure / Images : Thibaud Bernard-Helis
1•
Stabilisation des pieds. Pas de faute.
Une constance qui perdure est avantageuse.
2•
Stabilisation des mollets.
Aucun secours porté à qui SUIT. Son cœur n’est pas heureux.
3•
STABILISATION de la ceinture médiane.
Désarticulation de la colonne vertébrale.
Danger d’asphyxie du cœur.
4•
STABILISATION du corps.
Pas de faute.
5•
STABILISATION des mâchoires.
Les paroles sont mises en ordre.
Les regrets se dissipent.
6•
STABILISATION affermie : faste.
Cet hexagramme peut être mis en rapport avec des représentations de l’énergétique du corps, dites Xiuzhentu ou Neijingtu, apparues dans les cercles taoïstes beaucoup plus tard, sous les dynasties Ming et Qing. Ci-dessous une esquisse libre de l’une de ces images par Thibaud Bernard-Helis.